Textes

Georges Leclercq

Pour beaucoup, l’Art n’est qu’un agrément,

Alors que l’Art est l’Âme de l’humanité

Alain-Gérard Krupa

Le 31mai 2023

Un parcours:

Georges Leclercq est né à Liège le 27 novembre 1932. A cette époque, ses parents habitent le quartier du Haut-Pré, rue Dehin. En 1960, il s’installe avec son épouse Suzanne rue Henri Vieuxtemps où ils fondent une famille composée de trois enfants, deux filles et un garçon.

C’est là qu’il habite toujours et où se trouve son atelier.

Quatre ans déjà qu’il est diplômé de l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège où il a été l’élève de Robert Crommelynck (peinture monumentale de composition) et Henri Brasseur (dessin supérieur). Puis, il entre dans l’enseignement, mais consacre sa vie à la peinture et durant une longue période, au cinéma d’animation, vivement impressionné par les dessins animés de Walt Disney.

Avant parler de sa peinture, il n’est pas inintéressant d’évoquer cette période cinématographique. Dans une interview accordée au journal La Wallonie en 1974, il évoque deux œuvres filmées, Désert et Le Gouffre, et explique que ces films sont des prolongements de la peinture dans une autre dimension. C’est un éclatement des tons et des sons, tout en développant les thèmes de l’éternel commencement de la vie et la mort, de la paix et de l’agressivité, des gestes toujours retrouvés pour tuer et détruire. Avec cette dimension supplémentaire et essentielle : le temps. Ce temps qui est ordonné, organisé par cadence, les rythmes et les répétitions d’images. Le son s’incorpore à l’image. Il n’est pas un accompagnement mais bien un élément, un acteur d’un tout dans lequel se trouve incorporés la couleur, la forme et le mouvement.

Pour comprendre son œuvre picturale, l’apprécier et prendre le temps de pénétrer dans son univers, il faut se souvenir de ces propos « cinématographiques ». Car, dira un critique d’art plus tard, « Dans son cadre, la toile se sent à l’étroit, prisonnière. L’œuvre cherche à se faufiler, à forcer le passage pour atteindre la liberté ». Métaphore d’une quête d’absolu qui guide l’artiste dans le dédale de sa personnalité.

Malgré sa modestie légendaire, Georges Leclercq a aussi décroché de nombreux prix prestigieux, il a exposé à Liège, Gand, Bruxelles, New York et Montréal. Ses œuvres sont accrochées aux cimaises de collections et de musées belges, allemands, américains et japonais.

L’œuvre:

Dans la vie, il y a des points d’interrogation qui se posent et derrière eux l’angoisse.

L’angoisse de ne pouvoir arriver à dire des choses.

L’œuvre de Georges Leclercq est un monde en soi. C’est une réflexion d’ordre philosophique sur un monde en gestation. Ses tableaux portent à la réflexion, à la méditation sur le monde agité de notre époque. La peinture est le soutien d’idées généreuses qui sont une révolte contre les iniquités du monde d’aujourd’hui. Le symbolisme de Georges Leclercq est à l’image du temps présent : inquiet. Cependant, dans cette vision de cataclysmes, il y a toujours

des lueurs d’espoir. L’homme devant ce qu’il déclenche et provoque n’est plus qu’un jouet, un instrument, il subit impuissant ses expériences d’apprenti sorcier. Cette attitude de l’artiste envers ce monde agité est loin de toute école, de toute mode. Il va son chemin, illuminé par ses idées, son projet les jetant de façon très ordonnée sur les toiles soucieuses d’y inscrire ses conceptions.

Cette œuvre, inventive et complexe, peut dérouter le regard. Il faut prendre le temps pour reconnaître les lignes directrices et l’ordonnancement de la pensée. C’est une démarche qui vise à aider l’homme à retrouver l’unité de son être. Prisonniers du monde de l’expérience, les êtres humains aspirent à retourner dans le monde de l’innocence ou plus simplement à trouver un équilibre entre ces deux mondes et à connaître le bonheur sur cette terre.

Corps et âme, énergie et raison, innocence et expérience ne cessent de tirailler l’homme dans des sens opposés.

C’est aussi un éclatement fougueux de la couleur et de la forme, savamment ordonné, un humanisme de solitude, d’incompréhension, d’autarcie face à l’immensité. Dans ce magma en formation, où éclatent des écarlates fulgurantes et des soleils insoutenables et éblouissants, des formes d’hommes attendent leur destin, ou tentent d’y participer. Comme l’a écrit Saint-John Perse : Et voici qu’il s’élève une rumeur plus vaste par le monde, comme une insurrection de l’âme.

Cette genèse spatiale, ces roches qui planent, qui flottent, qui semblent en suspension, qui se mettent à vivre, et ces silhouettes sombres qui devraient être des hommes, l’artiste les magnifie par des couleurs magmatiques et une violence picturale empreinte de maîtrise.

Que ce soit en peinture, en dessin ou en pastel, on retrouve cette vigueur dans des thèmes récurrents. Ils illustrent à merveille les vers d’Alphonse de Lamartine :

Mais vous, pour embraser les âmes,

Il faut brûler, il faut ravir,

Au ciel jaloux ses triples flammes.

L’art de Georges Leclercq prend ses origines dans cette interprétation de l’organisme humain avec le monde qui l’entoure, avec ses fragilités, ses tensions. C’est dans la conscience d’un présent fragile et en déplacement permanent que l’artiste se permet d’accueillir quelques autres parcelles d’infinitude. Il s’engage dans une expérience d’une temporalité projetée hors

de lui, tout en parcourant les lointains intérieurs.

Par ce glissement d’une intériorité profonde et sincère vers son émancipation picturale, il se met ses propres certitudes en état de précarité, dans l’espoir de voir son œuvre toucher cet infini inaccessible à sa propre réalité. Elle lui donne ainsi en retour la possibilité de se dépasser lui-même, de s’extraire de ses limites corporelles et mentales.

Car le propre de cette œuvre, c’est précisément de ne se ramener à aucun message imposé mais de plonger le regard dans une salutaire perplexité devant la complexité du monde et de sa fragilité. Il faut toujours faire confiance aux grandes œuvres car, d’une manière ou d’une autre, elles ne manquent de parler juste.